Posté le 9 juin 2019 dans Société | 0 commentaire
Influenceur

Nicolas Émilien, écrivain

Je peins ici, avec des mots, une toile de notre monde. Il n’est ni beau ni laid. Il n’est ni bon ni mauvais. Il n’est ni meilleur ni pire. Il est ce qu’il est, Je suis  pour la paix des ménages…

1Mon propos ici n’est nullement d’opposer les « influenceurs» aux poètes et vice versa. Car, bien avant Internet, les artistes, et notamment les poètes,furent les premiers « influenceurs », lorsque les arts et la culture contribuaient à la grandeur des nations occidentales. C’est-à-dire, avant que nos États européens perdent leurs valeurs créatives, dilapident leurs idéaux et abandonnent leurs traditions sur l’autel de la globalisation des marchés, de l’uniformisation des peuples et de la financiarisation de la Terre,mais surtout avant la domination massive de l’image et de l’apparence. Alors, peu à peu, les artistes ont disparu du champ du visible. Ils ont littéralement été avalés et digérés par le système.

 

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Bien sûr, lorsque j’évoque le mot « poète », cela peut faire « has been » ou, pour le dire en bon français bien de chez nous,« gros loser ». Mais, être poète est avant tout un savoir-être, et ainsi nous pouvons retrouver les traces de la poésie dans toutes les sphères de la société. Certes, dans ces lignes, je m’en tiens aux livres, mais pour rassurer quelques lecteurs et lectrices téméraires, je fais référence à la poésie en prose et non à celle en vers. Il se peut néanmoins que je donne l’impression de parler de l’ère des dinosaures, d’un espace-temps très très lointain,voire de me rattacher à une forme de nostalgie quelconque. Il n’en est rien, car de très grands poètes il en reste encore de nombreux :d’une part, tous ceux d’hier et, d’autre part, tous ceux aujourd’hui. Car les poètes sont des visionnaires. Ils traversent les siècles comme nous traversons un tunnel avec notre voiture. Avant et après l’obscurité, nous n’avons pas changé d’un atome. Rien n’a changé d’ailleurs. Les œuvres poétiques sont de cette nature qui traverse les âges pour nous enrichir.

3Cependant, si nous désirons sincèrement un autre monde, il faut commencer par être cohérents avec nous-mêmes. Alors je crois qu’évoquer les poètes prend pleinement son sens ici et maintenant. Car, pour les jeunes, des ados jusqu’aux trentenaires, les « influenceurs » et autres bloggeurs sont les maîtres du temps. Ce n’est pas de leur faute. Ils sont les fruits du système. Ces individus vendent du vide comme on vend des masques à oxygène, pour mieux respirer dans nos mégalopoles surpeuplées. Ils sont les tenanciers du monde virtuel, des manifestations temporaires et des exhibitions éphémères. Ils correspondent parfaitement au règne de la déshumanisation de notre planète. Ils sont, en quelque sorte, le round up des liens sociaux.

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Pourtant, pour des millions d’individus, ils symbolisent la réussite, le luxe, la grandeur, une vie accomplie… Les publicitaires et les kings du marketing ont flairé le filon pour écouler leurs marchandises. Nuit et jour, les stars du web affichent et s’affichent. Elles sont les mascottes de la société de la distraction et du superficiel,les porte-manteaux mondiaux du soft-power,des sortes de vitrines, comme à Amsterdam, mais des vitrines reflétant le commerce mondial. Elles vantent les bienfaits de la croissance continue à coups de mises en scène successives, restant ainsi inféodés aux actionnaires et à nos chers États pour qui la croissance rime avec stabilité sociale.

Où sont-ils alors,nos poètes ? Ils sont là !Certes, face à l’éclat et à la toute-puissance de l’image, le5Verbe fait pâle figure,sans compter que, souvent et à tort, les poètes ont une image terne, poussiéreuse et peu glamour. Surtout, ils n’intéressent pas les promoteurs et les faiseurs du système. Car ils sont insensibles au chant des sirènes du profit et de l’urgence. Ils ne vivent pas pour autant en marge de la société, au contraire, ils sont la société. Ils restent naturellement hors de la scène de la rentabilité, donc absents des médias de masse. C’est de leur fait: ils ne sont ni dans la représentation ni dans la démonstration, tout simplement parce qu’ils n’ont rien à prouver et encore moins à promouvoir. Pourtant longtemps, ils ont été les vrais guides spirituels, les créateurs d’imaginaires, l’oreille des rois, les complices des reines…Plus que jamais, ils sont à la fois l’antithèse du système et l’antidote à ses dérives.Parce que ces hommes et ces femmes prônent un retour à l’essentiel; Ils aspirent à la lucidité de « ce qui est »; ils nous parlent de l’harmonie et du respect du vivant.

Alors, lire les poètes, c’est rentrer dans le cœur de la vie, danser avec les étoiles, batifoler avec les 6hirondelles et marcher sur l’océan de l’invisible. Les poètes sont les magiciens des arts, des cultures, du réel,des éléments, des villes et des campagnes. Lire de la poésie, c’est se glisser dans un bain de sons, d’odeurs, d’émotions, de sensations et d’énergies. Les poètes sont des êtres qui remontent de leur intériorité les trésors, les sentiments humains et les tergiversations de l’humanité. Alors si, vous aussi, vous souhaitez revenir à l’essentiel,si vous désirez marquer une pause dans votre vie,juste un instant, pour vous offrir un cadeau,si vous aspirez à retourner à la source,il vous faut revenir à davantage de lucidité et, pour ce faire, réenchanter votre monde grâce à la langue, à sa puissance, à sa force, à sa légèreté et à sa beauté. Réenchanter votre imaginaire, c’est réenchanter votre pensée, votre vocabulaire, votre quotidien et vos actions. Les poètes sont la démonstration que le changement vient de soi, toujours et d’abord en soi.

7Découvrir un livre de poésie, c’est voyager, apprendre et explorer. Si vous voulez un autre monde, il vous faudra trouver un moyen de revenir, de force ou de gré, à un temps long. Il faudra arrêter de cavaler, physiquement et virtuellement, pour vous regarder en face. Il faudra arrêter de chercher des fautifs, des coupables et des boucs émissaires. La poésie offre un outil simple et accessible pour retrouver cet autre monde que vous avez laissé filer entre vos mains.

Voici quelques noms que j’ai en mémoire, je vous laisse compléter cette farandole non exhaustive : Umberto Saba, Hermann Hess, François Cheng, Novalis, Charles Bukowski,Nâzim Hikmet, Friedrich Nietzsche, Blaise Cendrars, Antonio Machado, Georges Séféris, Li Po, Djalâl ad-Dîn Rûmî, Emmanuel Godo, Johann Wolfgang vonGoethe, Mahmoud Darwich, Gabriela Mistral, Francis Ponge, Octavio Paz, Confucius, Khalil Gibran, Jorge Luis Borges, Rafael Alberti, Philippe Jaccottet, Walt Whitman, Joël Bastard, Yang Lian, Christian Bobin, Yves Bonnefoy, Henri Michaux, Salah Stétié, Eugenio Montale…

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