Posté le 14 juillet 2017 dans Genève Internationale, ONU | 0 commentaire
Itinéraire d’un agent de sécurité à l’ONU Genève.

De Cajamarca (Pérou) à Genève :

José Cabrera dit « Pepe » est un être à multiples facettes. A l’aube d’une retraite prochaine comme fonctionnaire des Nations Unies à Genève, il revient en s’étonnant sur son parcours de vie, mêlant l’histoire récente de son pays d’origine aux péripéties qui l’ont entraîné sur les rives du Léman.

Cet homme simple, dont la voix douce et posée contraste avec sa charpente de lutteur, possède un sens des valeurs, une perception et une empathie pour les autres, que rien n’est parvenu à entamer en dépit des épreuves et des écueils de la vie. Presque timide et pondéré, donnez-lui une guitare et la transformation sera instantanée : il vous entraînera avec brio, dans une ambiance endiablée jusqu’au bout de la nuit avec des chansons et des musiques qui tournent autour du monde, à l’image de sa carrière et de ses rencontres multiculturelles.

Je suis né à Cajamarca, une ville située au nord-est du Pérou, à 800 kilomètres de Lima, cette ville est célèbre car la bataille de Cajamarca a scellé la défaite de l’empire Inca par la troupe espagnole de Pizarre.

Sans titre

 

 

Mon père était ingénieur industriel et possédait des stations-service. Il avait rencontré ma mère commerçante qui avait déjà des enfants. Nous étions une fratrie de 19 enfants. Ma grand-mère possédait une ferme à quelques kilomètres. Ma mère était d’origine espagnole et mon père d’origine italienne avec bien entendu, le métissage qui est intervenu tout au long des siècles pour le peuple péruvien. C’est sûrement ce qui m’a donné le goût de la fête, du partage avec les amis et de la musique. Ma vie comme enfant a été heureuse, je n’ai manqué de rien et mes parents ont tout fait pour que je poursuive des études. J’ai suivi deux cycles d’ingénierie civile mais moi j’étais plutôt attiré par l’aviation. Mon père m’a autorisé à suivre cette voie, j’ai passé les tests et intégré l’armée de l’air à la capitale, j’étais cadet et j’ai appris à piloter..

Pepe Cabrera

Pepe Cabrera

En 1973, ma mère est décédée et mon père ne l’a pas supporté, il l’a suivie une année plus tard. J’avais alors 18 ans. J’ai, malgré ces circonstances, réussi mes examens et toute ma famille en était fière. A ce moment j’ai cependant répondu à l’appel familial de mes oncles et tantes qui m’ont demandé de revenir au pays pour m’occuper de mes frères et sœurs. Il était difficile de trouver du travail et j’ai alors appris la tauromachie. Je gagnais ma vie comme torero en me produisant dans les villages. Parfois, j’étais payé directement avec une jambe de taureau que je ramenais à la maison. J’ai été remarqué par un riche industriel, concessionnaire de la marque Volvo qui m’a proposé un travail. Volvo ouvrait un magasin dans mon village et ils avaient besoin d’un responsable. J’avais un bon salaire et, le week-end, je continuais la tauromachie. Mon frère aîné m’a finalement convaincu d’arrêter de toréer après quelques années.

En 1978, j’ai décidé de postuler pour entrer dans la police car j’avais besoin d’action. J’ai rejoint l’école de police en 1979. J’étais chargé particulièrement des investigations criminelles et comme j’avais le brevet de pilote, on m’a vite proposé de postuler pour la direction des transports aéroportés de la police qui venait d’être créée. J’ai finalement rejoint cette unité en 1985 juste au moment où Alan Garcia est devenu président de la république. Après une année, j’ai été affecté au narco terrorisme en intégrant une équipe baptisée « opération condor » qui intervenait contre les narcotrafiquants à partir de la ville de Caballococha située sur le delta : Brésil, Colombie, Pérou., un endroit propice au trafic. Nous avons, grâce à un réseau d’informateurs, réussi à identifier un aérodrome clandestin. Je m’occupais de la liaison et les informations ont permis de programmer une intervention massive. Nous avons saisi cinq avions Cesna remplis de coca, ce qui a eu pour conséquence de démanteler tout un réseau. Ces avions ont été réquisitionnés et ensuite utilisés par nos forces de police sur une base aérienne dédiée à l’intervention contre les « narcos ».

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Les paysans cultivaient illégalement la feuille de coca. Une véritable organisation avait été mise en place par les cartels colombiens. Ils venaient récupérer les récoltes dans les exploitations, les payaient trois fois plus cher que le prix « normal » et ensuite toute la filière était organisée. Le Sentier Lumineux, un mouvement politique qui a compté des milliers de membres, était un acteur du narcotrafic qui lui permettait de financer ses activités et notamment la lutte armée. Dans cette période troublée, le général Herrera Polo est devenu chef de la police nationale après la dissolution de l’ancienne police par le président et il a recomposé les forces de police. J’ai ainsi, été détaché avec 300 candidats à l’aviation navale, ce qui m’a permis de passer tous les diplômes et de devenir officier. A ce moment, ma femme et mes enfants ont demandé à partir aux Etats-Unis par peur des menaces qui planaient en permanence sur nous et sur nos famille ; ils ont obtenu un visa touristique très facilement. Après ce départ, j’ai, peu à peu, perdu tout contact avec ma famille. Ma femme est restée aux Etats-Unis, elle a trouvé un travail et était donc immigrée clandestine. Je n’ai jamais pu obtenir de visa pour les Etats –Unis.

J’étais désespéré de ne pas pouvoir voir ma famille, j’ai demandé au Général Polo de m’accorder trois mois de disponibilité pour faire le point dans ma vie. J’ai décidé de venir à Genève.

 Genève et l’Afrique: une nouvelle vie

 Je suis arrivé sur les bords du Léman en juillet 1991. A l’époque, le visa n’était pas nécessaire. Je ne parlais pas français, je dormais à la gare, je me lavais comme je pouvais car je n’avais que 300 dollars en poche. Un jour à Plainpalais, j’ai été abordé par quelqu’un qui avait remarqué ma guitare. Il m’a proposé de participer à une fête d’anniversaire. J’ai pu manger, j’ai sympathisé avec cette famille qui m’a proposé un travail qui consistait à transporter des objets d’art péruviens destinés à être vendus en Suisse. Très vite, comme les affaires marchaient bien, ils m’ont proposé d’organiser une filière de commerce d’objets ethniques entre la Suisse et le Pérou.

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Un jour, j’ai décidé de venir visiter le Palais des Nations. A cette occasion, j’ai rencontré Joseph, un agent de sécurité, ancien garde du Vatican, avec lequel j’ai sympathisé. Il m’a encouragé à postuler, ce que j’ai fait. Après quelque temps, l’ONU m’a appelé et m’a proposé un contrat court pour une conférence où il fallait parler espagnol ;j’ai donc commencé le travail d’agent de sécurité. Mes superviseurs étaient satisfaits et, de fil en aiguille, mes contrats se sont enchainés et j’ai alors décidé de rester à Genève : j’avais un travail, un permis de séjour. J’ai appris rapidement le français, et tout s’est mis en place, le destin s’éclairait grâce à ces belles rencontres à l’ONU avec Joseph, Kuno, Serge, Roland, Jane, j’en oublie. Au Pérou, mon frère a fait le nécessaire pour que je sois libre par rapport à mon administration, prêt à commencer une nouvelle vie.

En 1993, j’ai finalement pu obtenir un visa pour les Etats Unis. En décembre de la même année, j’avais une coupure administrative de contrat, j’ai revu ma famille. J’ai appris en même temps que ma femme vivait avec un autre homme. Elle était illégale, elle a trouvé quelqu’un qui avait des papiers… Le choc a été rude. J’ai demandé à rencontrer l’ami de ma femme ; quand il a été en face de moi, je l’ai remercié pour les enfants et l’ai embrassé, nous avons fêté Noël ensemble. Le divorce a été prononcé en 1994.

Madame Sekela Mortier qui travaillait aux Ressources Humaines et avec laquelle j’avais sympathisé m’a encouragé à postuler pour des missions de l’ONU sur le terrain. J’ai été sélectionné pour une mission de paix au Mozambique en 1994 car je parle portugais. L’ONU avait envoyé une délégation et une quinzaine d’agents pour les élections en tant qu’observateurs. Pendant 18 mois, j’ai amélioré mon français avec un collègue français qui voulait apprendre l’espagnol. Je lui parlais en espagnol, il me répondait en français. J’ai rencontré alors une employée locale et, quelques mois plus tard, nous nous sommes mariés. J’étais de nouveau en coupure administrative. Je suis retourné au Pérou avec ma femme. J’ai pu recommencer mon travail à Genève grâce à un nouveau contrat qui n’avait été délivré que pendant mon trajet entre le Pérou et la Suisse. J’ai travaillé pendant trois mois et suis reparti au Burundi pour une mission de protection rapprochée.

Sur le même schéma, je suis reparti ensuite au Congo pour les enquêtes sur les massacres sous l’ère Kabila pendant un an et demi. Nous avons découvert des charniers, exhumé des cadavres, les gens qui nous renseignaient étaient parfois mutilés par la police. C’était un climat de terreur. Les missions se sont ensuite enchainées sur le même rythme.

En Centrafrique, j’étais détaché avec la commission d’enquête à Bangui. Nous devions nous rendre dans une ville située à 380 km au nord. Les routes étaient coupées et dangereuses. Je suis allé me renseigner dans une agence de voyage et j’ai demandé si nous pouvions louer un avion. Après quelques négociations, ils m’ont proposé un avion avec leur pilote dont je serais le copilote. J’ai alors proposé cette solution et nous sommes partis en avion avec le ministre de l’intérieur, et la délégation onusienne. J’ai pris contact avec la police locale pour qu’elle sécurise la zone et nous avons pu mener à bien le travail. Le Congo, l’Angola, la Sierra Leone et 13 conférences de l’ONU ont ponctué mon parcours.

J’ai terminé ma carrière comme responsable de la sécurité de l’annexe Motta, dédiée aux droits de l’homme et j’ai retrouvé avec plaisir des collègues qui sont totalement investis.

A l’ONU : faites en sorte que la sélection ne dépende plus d’autres paramètres que la compétence, l’expérience, le mérite et l’investissement personnel.

Le travail dans toutes ces missions pour l’ONU est particulier car il est multiculturel. Notre travail est ponctué par les opinions et les modes de fonctionnement de chaque intervenant. C’est à la fois enrichissant et représente une opportunité d’analyse des faits avec des perspectives diverses. Quand le tout est accompli avec rigueur, avec les bonnes personnes, le travail est bien fait. Cependant certains intervenants à la fois sur le terrain et également aux différents sièges, sont sélectionnés grâce à des connaissances et non pas sur leur compétence et cela pose problème quand il s’agit de remplir une mission difficile. Les situations que j’ai vues en Afrique donnent une vision de ce que l’être humain est capable de faire et il faut beaucoup de force de caractère pour remplir la mission en évacuant ces horreurs.

A la veille de ma retraite, c’est vraiment le message que je veux envoyer au Secrétaire général : faites en sorte que la sélection ne dépende plus d’autres paramètres que la compétence, l’expérience, le mérite et l’investissement personnel.

Pendant ma retraite je m’investirai bénévolement dans une ONG en laissant une très grande place à ma famille. J’ai voyagé dans le monde entier grâce aux Nations Unies, j’ai vu la pauvreté et je veux être utile et une guitare ne sera jamais loin de mes doigts.

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