Posté le 28 février 2015 dans Burkina Faso, Genève Internationale, Société | 0 commentaire
Entretien : Rachel, une Sage-femme au Burkina

Rachel, sage-femme au Burkina Faso :

un engagement fort pour ses sœurs africaines

Alice Martin & Christian David


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Nous avons rendez-vous avec Rachel Ouedraogo, sage-femme pour l’Association Burkinabé  Indépendante, pour le Bien -Être Familial (ABBEF) dont l’objectif principal est «la promotion de la santé dans le domaine de la reproduction».

 

L’association est reconnue d’utilité publique et financée principalement par l’Institut International pour la Planification Familiale (IPPF). Rachel et ses collègues interviennent dans le domaine de la planification familiale mise en place dans le pays avec beaucoup de difficultés.

Parlez-nous de vous et de votre action:

Dans mon pays, les filles étaient, la plupart du temps renvoyées des établissements secondaires pour fait de grossesses non désirées. La grossesse est un acte qui se fait à deux et il n’est pas juste que le garçon n’en subisse aucune conséquence. Nous avons le droit à une sexualité mais nous devons aussi nous montrer responsables. Introduire la planification familiale au Burkina n’a pas été chose facile car c’était un vrai tabou. Heureusement l’Etat a fini par nous accompagner, via la reconnaissance d’utilité publique et l’affectation d’agents, même s’il ne nous finance pas. Nous bénéficions en revanche d’aides de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF), notre bailleur de fonds principal. Je voulais vraiment travailler avec les femmes et leur apporter un soutien réel. Les conditions d’exercice du métier dans la fonction publique sont très difficiles et ne permettent pas, à mon sens, de réconforter les femmes. J’ai choisi une autre voie. J’ai commencé par travailler dans des cliniques privées mais je n’y pratiquais que des soins infirmiers dictés par un gynécologue et cela ne m’intéressait pas. J’ai débuté à l’ABBEF par du bénévolat. J’exerce désormais dans ce centre d’écoute pour jeunes, où nous mettons tout en œuvre pour conseiller de manière confidentielle et non stigmatiser. Voici un extrait de notre Charte, rédigée par des jeunes : « Donnez-nous l’information et les services dont nous avons besoin, acceptez-nous tels que nous sommes, ne nous faites pas la morale et ne nous démoralisez pas ! ».

Comment faites-vous pour vous faire connaître ?

Nous travaillons beaucoup dans les établissements et dans les secteurs (quartiers). Nous formons des professeurs encadreurs dans le domaine de la SSR (Santé Sexuelle et Reproductive). Ils sont chargés de nous envoyer en contrepartie des élèves dynamiques qui peuvent sensibiliser leurs jeunes pairs. Cette année nous avons commencé à nous rendre dans les villages. Mais, comme le Burkina est grand, il est vrai que nous avons du mal à nous faire connaître partout. Nous devrions peut-être travailler davantage sur notre visibilité. Nous le faisons déjà un peu : nous rencontrons les autorités, nous organisons des émissions de radio, de télévision, également des journées de consultation gratuite, etc.

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Quel est le déroulement d’une journée type ?

Nous avons compris que nous ne pouvons pas nous limiter à la planification familiale. Une femme aimerait aussi pouvoir venir peser son enfant et en profiter pour faire son dépistage du cancer du col de l’utérus, etc. Nous avons donc décidé de regrouper tous ces actes médicaux en une seule consultation. Un infirmier s’occupe des enfants, il fait la consultation des nourrissons sains, la vaccination. La femme en profite pour la planification familiale. Lorsque c’était un acte isolé, les hommes voyaient d’un mauvais œil que leur femme vienne consulter.

 

Quelles sont les séquelles de l’excision sur les femmes ?

Je reçois une trentaine de femmes par jour. Sur ces trente femmes, peut-être dix seulement ne sont pas excisées et ce, malgré l’interdiction par la loi depuis 1996. Nous traitons les complications de cycle, de vie sexuelle, de grossesse, d’avortement, dues à l’excision. Nous travaillons avec un gynécologue qui vient pour des consultations chaque jeudi après-midi (les élèves n’ont pas école en général). Nous avons reçu un jour une jeune fille qui avait de terribles douleurs, le vagin et la vulve bombés de toutes parts. Ses parties génitales avaient été cousues suite à l’excision et le sang de ses règles ne pouvait tout simplement pas sortir. Il a fallu l’emmener à l’hôpital d’urgence où elle a été incisée puis opérée.

L’excision est liée en majorité à des fausses croyances d’origine religieuse. Certains disent qu’une femme non excisée est impure, qu’elle va aller courir les hommes ou même qu’elle va porter malheur à son mari, qu’il ne faut pas écouter ce que les blancs disent, qu’il faut continuer nos coutumes d’africains, alors que cela n’a rien à voir avec les blancs ! Seules les femmes savent combien elles souffrent dans la salle d’accouchement. Et le problème c’est que, oui, ces femmes qui souffrent iront à leur tour faire exciser leurs enfants. Ou alors ce sont les grands-parents qui font exciser les petites-filles lors de vacances au village, à l’insu des parents.

Dans presque tous les accouchements de femmes excisées, l’épisiotomie bilatérale est nécessaire. Les femmes ont alors peur de la grossesse. La sensibilisation que nous mettons en œuvre marque les esprits peu à peu, le changement va se faire, mais lentement. Il s’opérera notamment grâce aux jeunes qui font des études, surtout des études longues. Je suis allée au Mali et j’ai constaté qu’au Burkina la situation est meilleure. Le Mali est très religieux, ce qui fait perdurer l’excision, y compris chez les intellectuels. C’est moins le cas au Burkina grâce à l’interdiction qui fait peser une menace sur les exciseuses et sur ceux qui leur confient des petites filles.

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Comment la sexualité est-elle abordée ?

Nous vivons dans une zone à forte influence musulmane où, même pour sensibiliser sur des sujets de santé en apparence anodins nous pesons nos mots, les tabous sont lourds. Ici, il n’y a pas d’éducation sexuelle. Le jour de son mariage une femme Mossi revêt un habit blanc, c’est la tradition. Les nouvelles générations ont accès à internet et cela va changer car la sexualité s’apprend, y compris pour les hommes. L’infidélité est monnaie courante ici. Les femmes qui veulent quitter leur mari pour cause d’infidélité s’entendent répondre par leurs mères qu’elles doivent supporter cette situation. Lorsque nous constatons les dégâts provoqués par l’excision, il est évident que cette pratique est pour quelque chose dans l’adultère des hommes. Mais je sens que tout cela est en train de changer. J’ai de l’espoir. Et dans le centre, je parle de tout avec mes patientes, en toute confidentialité et entre femmes.

Nous quittons Rachel avec la sensation d’avoir rencontré un ange, une petite femme d’apparence fragile, mélange de force et de douceur, qui semble porter, sur ses frêles épaules, toute la douleur de la femme africaine.

Nota. Rachel souhaite poursuivre sa formation grâce à des cours par correspondance dont l’écolage pourrait être accompagné par toute bonne âme sensible à ce qu’accomplit cette magnifique personne.

 

 

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