Posté le 2 juin 2019 dans Burkina Faso, Société | 0 commentaire
Talents inter-organisation au Burkina-Faso

Il existe dans les organisations internationales présentes à Genève, des collègues qui exercent des activités bénévoles, universitaires, caritatives, et/ou ont des talents particuliers.De par leur appartenance à l’organisation, ils génèrent une bonne image et constituent des relais potentiels extrêmement intéressants en termes de contacts, d’idées et d’actions abouties.

Fonctionnaire au BIT, Yannick a fondé en 2001, l’agence Raising Autonomy , dont le but, comme son nom l’indique, consiste à accompagner des populations en les convainquant qu’elles détiennent l’expertise du territoire et que leur autonomie se trouve à portée de mains.Cette approche génère un mélange de motivation et de fierté, entraînant un fort sentiment d’appropriation, assurant du même coup une meilleure longévité. Des villages deviennent capables de financer eux-mêmes leurs services publics, sans subvention, en appliquant les préceptes de Solidarité, d’Autonomie et de Dignité, qui sont les trois valeurs fondamentales de cette agence.

Plusieurs  nouveaux projets au Burkina Faso.

Le maraîchage autour d’une ferme, une boutique pour une association de sourds-muets,un partenariat avec une association pour handicapés une initiative englobant tout un village.  En cette fin d’année 2018, Yannick, pose un congé sans solde et se rend sur place. Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, le temps d’atterrir et de trouver du réseau, c’est parti!

Les différents projets sont concentrés dans une zone de brousse située à l’ouest de Bobo, sur la route du Mali.

Une première visite en brousse, nous permet de saluer le feu grand-père Gnafa, garantir un bon départ. La terre est aride, les habitants vivent dans des petits villages et des cases bâties de glaise et de tôles. Çà et là, des champs de coton, des bananiers et des champs de mil. Quelques bâtisses de briques ocres émergent de la terre. Leurs fondations sont constituées de pierres extrêmement lourdes et denses, appelées pierres sauvages qui contiennent de la latérite, empêchant les cases d’être emportées pendant la saison des pluies. Les habitants souhaitent une «bonne arrivée» aux visiteurs, la suite de la conversation se déroule en langage Bobo, les formules de politesse, les questions sur la famille, le tout selon un protocole qui semble immuable. Quelques animaux déambulent, chiens, poules, pintades semi-sauvages, chèvres. Pour un européen le premier abord est celui de l’extrême pauvreté. Pourtant, le contexte ne permet pas de penser en termes de richesse. La dignité de ces gens, leur sens des valeurs, sont difficilement explicables mais extrêmement palpables lorsque vous partagez leur quotidien. Le repas est servi, une boîte de conserve contenant de l’eau permet à chaque convive de se laver les mains. Plusieurs soucoupes sont posées sur le sol, les hôtes sont servis en premier. Le repas est constitué d’une pâte de farine de sorgho, maïs, ou petit mil agrémenté de sauces kikiri cuisinées avec les graines de fleurs d’un arbre avoisinant. Les chiens efflanqués se disputent les épluchures de quelques patates douces venues compléter le menu. Sous l’ombre bienveillante des manguiers, quelques enfants jouent.

Partenariat avec des paysans:

Dans une ferme située vers le village de Toukoro, une récolte de mil rouge, financée par l’agence, sera vendue au meilleur prix. Les bénéfices doivent servir à finaliser une activité de service public choisie par les paysans impliqués. Cette année, un puits a été creusé afin de créer et d’irriguer une nouvelle zone de maraîchage.

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Un sourcier local a indiqué le meilleur emplacement. Soumana Sanou est chef de projet, il  sera ensuite en charge de superviser le futur potager. Une eau de très bonne qualité a été trouvée à 7 mètres de profondeur. Lors d’une prochaine vente, probablement de légumes, les bénéfices permettront l’achat d’une pompe mécanique, destinée à l’irrigation des cultures.

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Association des sourds-muets :

C’est la première réunion avec l’Association des Sourds Conscients du Faso (ASCF) depuis le démarrage du projet en novembre 2017. Tout a démarré suite à une rencontre fortuite lors de la visite de Yannick dans une boutique d’art. Le bâtiment, plus que vétuste, abritait quelques masques poussiéreux.  Il s’avère que les bénéfices de la boutique pourraient facilement être améliorés si elle vendait aussi des produits de consommation courante aux familles. Après cette unique rencontre, le reste des échanges s’est effectué à distance, entre M. Cissé, propriétaire du magasin, à Bobo, et Yannick, au nom de l’agence. Trois mois plus tard, un prêt a été octroyé par l’Agence, destiné à rénover la boutique. Celle-ci a été entièrement reconstruite en mars 2018. De retour sur place en décembre, une réunion est organisée avec l’équipe dirigeante, pour évaluer le projet. La conversation tourne autour de l’adage selon lequel il est mieux d’apprendre à pêcher que de donner du poisson. Yannick n’est pas d’accord. Il explique que les concernés savent pêcher mais leur poisson est capté par des tiers. Ils sont capables de produire une richesse locale, en vendant les produits de leur boutique, un système d’économie circulaire citoyen compris et supporté par la population bénéficiera en retour à tous. Désormais, les sourds-muets de Bobo disposent d’une boutique-épicerie, nommée « L’île aux trésors », dont les revenus sont utilisés pour financer leurs projets. Et ils remboursent le prêt rubis sur l’ongle depuis le début !

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La boutique avant rénovation, décembre 2017. Au premier rang, de gauche à droite : Issouf Ouédraogo : président de l‘ASCF, SoumanaSanou : Vice-président de l’Agence, Mr.Cissé : propriétaire de la boutiqueet un membre de l’ASCF.

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La nouvelle boutique, terminée en avril 2018.

Le partenariat conclu stipulait que tous les membres devaient s’impliquer pour faire vivre la boutique. Il apparait que tous ne jouent pas le jeu. Une réunion de crise est convoquée dans le but de responsabiliser les membres. Ils ignorent l’invitation. Considérant que le contrat initial n’est pas respecté, l’agence se voit dans l’obligation de le rompre à regret.  Les partenaires qui attendent un vieux schéma d’aide à perpétuité pourront peut-être réfléchir. Le contrat de remboursement du prêt octroyé pour rénover la boutique est repris par le propriétaire Mr Cissé, qui de facto honorait depuis le début les remboursements. Demi succès ou demi échec ? Passer de l’assistanat à l’autonomie est un authentique changement de paradigme.  De son côté, la mission est  allégée de toute forme d’enjeu : que le projet réussisse ou pas, l’agence poursuit sa route, à la rencontre d’autres collectifs, prêts à l’autonomie

Matériel pour personnes à mobilité réduite.

Une association nous a trouvés :Kassibaga- Handicap, en Suisse et au Burkina.  Une collecte avait été organisée par cette association à Genève, avec un certain succès. Ils ont pu obtenir une trentaine de chaises pour handicapés, de nombreuses prothèses et autres accessoires. Suite à la rencontre entre Yannick et le dirigeant de Kassibaga Suisse, un partenariat fut conclu pour acheminer la collecte. L’équipement, chargé dans le camion de l’Agence à Genève en octobre 2018, a été transporté jusqu’à Bobo et livré en main propre en décembre 2018. C’est vraisemblablement le début d’une longue amitié, pleine de réalisations à venir !

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De gauche à droite, le président de Kassibaga Suisse :Zacharia Traoré, le président de Kassibana Burkina : NiampaSayouba, le VP de l’Agence :SoumanaSanou etle secrétaire de l’Agence : Amidou Diarra.

 

Projet Bendia, village de Toukoro :

Avec les fonds prêtés, l’association devait engranger des céréales récoltées sur place au lieu de faire des allers et retours dans la ville de Bobo pour la vente et l’entreposage générant des frais importants. Lors du séjour, uneréunion est organisée avec l’association « Bendia », et son comité, en charge du projet. Ils doivent rembourser une partie du prêtsouscrit il y a 3 ans. Les fonds seront transférés au projet suivant :le village de Wolokoto, dès que ces derniers seront prêts.

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Quelques membres du comité de Bendiasont venus présenter le bilan de cette année.

Leur boutique est restée inactive durant toute cette année, par manque d’esprit d’initiative. Il faut encore constater ce défaut d’engagement. Une nouvelle réunion est programmée pour faire le point avec tout le comité, et relancer les activités.Le bouclage du cycle 2018 a été difficile, car le comptable-secrétaire de Bendia a démissionné. Le bilan est plutôt négatif : très peu de chiffre, relativement peu d’activités, donc peu de bénéfices. D’un commun accord, l’agence va prendre possession de leur boutique pour une période d’un an. Elle s’engage à y investir les moyens et la formation nécessaires afin que l’association devienne capable de la gérer seule à l’issue de la période déterminée. Par ailleurs, un nouveau comptable est nommé.

Il y a aussi quelques rares jours de repos. L’équipe trouve refuge chez le grand-père Gnafa, à la source, en famille.
Au village de Wolokoto, une association rassemblant tous les habitants s’est créée : KourouDia.

 Le but de ce projet consiste à créer une économie circulaire au sein du village afin de générer des profits pour pourront financer des services publics. Cela commence par la création d’une boutique d’achats courants au centre du village, gérée par les habitants eux-mêmes. Ainsi, les bénéfices de ces achats tombent dans la caisse de la boutique commune. Ils sont remis officiellement à KourouDia, qui décide, d’un commun accord entre tous les habitants, de la manière dont ils vont être dépensés, uniquement pour des services publics. C’est la condition imposée par l’agence pour leur octroyer le prêt nécessaire à la construction et la mise en route de la boutique. L’argent du prêt sera ensuite versé à un autre projet villageois trouvé par Kouroudia soit une sorte de partenariat gagnant-gagnant. Ce jumelage d’un village à un autre permet la transmission, non seulement des fonds, mais aussi de l’expérience acquise, des erreurs à éviter, et des clés de réussite. Un village se lève et donne la main à un autre pour qu’il se lève à sa suite. Remarque : Un projet de ce type nécessite un prêt d’environ 1’500 euros, pour une communauté de 7’000 habitants.Dès notre arrivée au Faso,nous faisons halte au village de Wolokoto qui va hériter du financement du village précédent (Toukoro). En quelques minutes, une réunion improvisée rassemble tous les habitants. Leur engagement est impressionnant.

 Deux semaines après cette première rencontre informelle, l’équipe de l’agence y retournera. Les villageois nous accueillent à bras ouverts. Les échanges sont excellents, leur motivation et leur engagement sont très différents de ceux rencontrés auparavant. La collaboration se présente sous les meilleurs auspices !  Leur témoignage est captivant : ils racontent que de nombreuses initiatives pour aider le village ont avorté. Il leur était demandé de participer financièrement, tout en promettant une assistance future. Les fonds prêtés par les villageois ne sont jamais revenus ! Dès les premières explications, ils se sont grandement étonnés du fait qu’ils n’auraient rien à payer, si ce n’est le remboursement d’un éventuel prêt, et que tout serait réalisé par les habitants, et personne d’autre.

 

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Réunion avec Kouroudia

A quelques mètres du centre du villageoù s’est tenue la réunion, nous découvrons le lieu de la boutique à venir. Notez le petit mur en ruine entre l’assemblée et la future boutique.

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Logo de Kourou Dia, réalisé deux jours auparavant par l’Agence.

 

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Dès la nouvelle année commencée, la boutique est construite, financée par l’AME (coût total : 500 euros, à rembourser mensuellement dès l’inauguration). Les contrats sont signés, et une première partie est versée pour démarrer au plus vite. Puisse cette collaboration être fructueuse et durer longtemps !

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Côté place du village, après crépissage et peinture.

Une fois le bâtiment terminé, nous est venue une idée. Le 7 février, une semaine après la fin des travaux, commence une grande fête annuelle et la boutique pourrait fournir et vendre toutes les consommations pour les 7’000 habitants du village. Les bénéfices d’une seule journée vont pouvoir financer tout le stock d’articles nécessaire qui seront vendus dans la boutique, sans que le village n’ait une seule dette.Grâce à une souscription éclair (entre le2 et le 4 février 2019) auprès des amis de l’Agence(car seulement quelques jours nous séparaient de la cérémonie) 2’000 euros sont récoltés. Ils seront entièrement remboursés trois semaines plus tard.

Cela peut prendre en général entre 3 et 5 ans à un village pour rembourser les prêts…

Or, grâce à cette idée de dernière minute, ils vont tout financer eux-mêmes, en achetant les boissons de leur fête à leur propre boutique. Un magnifique exemple de mobilisation collective, de dynamisme, et d’économie circulaire s’est mis en place et servira de référence pour le futur. Plus aucune fuite à Wolokoto! Ils construisent leur autonomie!

Durant le séjour s’est tenue la grande réunion des  projet en cours, qui s’est très bien déroulée. Une force incroyable s’est dégagée de ces expériences mises ensembles pour la première fois!

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Pour info, la danse des Masques clôt la cérémonie et a pour fonction de permettre à l’âme des défunts de rompre ses liens avec le monde des vivants et de rejoindre leurs ancêtres. Ils chassent également les mauvais esprits, ce qui est toujours utile!

Les prêteurs seront donc tous remboursés dans les prochains jours.

Un nouveau prêt vient d’être versé au comité de Kouroudia pour augmenter le  stock de la boutique et améliorer encore son rendement.

En parallèle, les femmes du village vont bientôt pouvoir bénéficier de céréales subventionnées, fournies par l’agence qui a pu en acquérir à bas pris en décembre dernier. En contre partie, elles devront cotiser à un fond (appelé localement une tontine) qui sera destiné à financer à tour de rôle leurs projets, accompagnées par l’Agence si elles le souhaitent.

Plutôt que des bienfaiteurs, qui revêt une connotation quasi colonialiste, les membres de l’agence se considèrent comme des agents bienveillants, qui prennent leurs responsabilités. Ils sont guidés par les trois valeurs fondamentales de l’agence que sont la solidarité, l’autonomie et la dignité.

L’équipe vous salue toutes et tous, jovialement et solidairement! Cette saison a révélé beaucoup de forces, une conviction profonde, souvent partagée, un horizon accueillant et prometteur. Que cette aventure collective continue à prospérer.

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Yannick Humeau, Président de l’Agence ; Soumana Sanou, Vice-président pour le Burkina-Faso

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